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L’action en contestation de paternité n’est impossible qu’à celui qui ne l’a pas tentée.

Depuis l’ordonnance n°2005-759 du 4 juillet 2005, l’action en recherche de paternité est ouverte pendant toute la minorité de l'enfant et pendant les dix années suivant sa majorité. Voici qui tranche avec le droit antérieur. Cette action était hier soumise à un délai biennal à compter de la naissance de l'enfant en principe, sauf à ce que le point de départ de ce délai soit retardé dans les cas prévus à l’ancien article 340-4 du Code civil : l’enfant majeur retrouvait ensuite faculté d’agir pour deux ans à compter de sa majorité.

Quoique l’article 340-4 ancien ne prononçât pas le mot, la chose fut jurisprudentiellement acquise : le délai biennal était préfix (v. pour cette qualification Cass. civ., 7 mai 1923, D. 1923, 1, p. 57 (4e esp.), note L. Sarrut ; S. 1924, 1, p. 139, note L. Hugueney). Ne s’agissait-il pas, après tout, d’encadrer une action susceptible de troubler la paix des familles, cependant que les preuves de la paternité n’étiolaient avec le temps ? Ces justifications avaient cependant vieilli : outre que le dépérissement de la preuve est moins à craindre – considérant l’évolution des techniques – il fallait bien admettre que l’action intentée deux ans après la majorité de l’enfant n’était pas nocive à la quiétude du foyer familiale…. Aussi l’Ordonnance du 4 juillet 2005 a-t-elle largement assoupli les conditions de l’action en recherche de paternité. Encore les dispositions nouvelles ne s’appliquent-elles qu’aux situations constituées après son entrée en vigueur : le présent arrêt, rendu le 12 mai dernier par la première Chambre civile de la Cour de cassation, rappelle ainsi la rigueur moralisatrice d’antan, cependant qu’il revient sur une particularité ordinaire du délai préfix.


Né en 1964, un enfant est légitimé par le mariage de mère avec de l’auteur de la reconnaissance de paternité naturelle (Blog sur le mariage Mlle dentelle). Les époux divorcèrent cinq années plus tard. En 2003, soit trente-neuf ans plus tard et vingt après sa majorité, l’enfant - devenu grand - assigna l’ex-époux de sa mère en contestation de paternité, ainsi qu’un tiers en déclaration de paternité naturelle, estimant que le délai d’action de deux ans après sa majorité ne lui était pas opposable, dès lors que la reconnaissance non contestée établissant une autre filiation rendait irrecevable l’action en recherche de paternité. Somme toute, selon lui, puisque l’action en contestation de reconnaissance de paternité – préalable indispensable à l’action en recherche de paternité – était recevable trente ans durant, le délai biennal ne lui était pas opposable.

La Cour d’appel ne se laissa pas convaincre. Elle confirma le jugement en ce qu’il avait annulé la reconnaissance de paternité originelle, mais déclara irrecevable l’action en recherche de paternité, en raison de l’expiration du délai biennal.

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cet arrêt au motif « que le délai de deux ans prévu à l’ancien article 340-4, alinéa 3, du code civil pour l’action en recherche de paternité est un délai préfix qui, si celle-ci n’a pas déjà été exercée pendant la minorité, court à compter de la majorité de l’enfant, même lorsque cette action est précédée ou accompagnée d’une action en contestation de reconnaissance ».

A la suite d’une jurisprudence classique et ancienne, le présent arrêt fait du délai de l’ancien article 340-4 du Code civil un délai préfix. Cette notion a sa part incompressible de mystère, au-delà de l’idée selon laquelle il s’agit d’un délai impassible aux causes de suspension ou d’interruption (A. Bénabent, Le chaos du droit de la prescription extinctive, Mélanges Louis Boyer, PU Toulouse, 1996, p. 122 s., spéc. p. 130 et s. ; P. Voirin, note sous CA Nancy, 17 févr. 1934, D. 1934, 2, p. 33). Le délai préfix se reconnait tout au plus à ce qu'il est seulement assoupli par l’application de la maxime contra non valentem agere non currit praescriptio, selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir : même si l’adage vise la prescription, « le délai préfix est un concept trop mou pour en exclure irrépressiblement l'application » (note sous Cass. 1ère civ. 14 déc. 1999, D.2000, jurisp. p. 846 adde les références citées, spéc. J. Carbonnier, La règle contra non valentem agere non currit praescriptio, spéc. p. 189.). Contra non valentem… est cependant d’application stricte : l'adage nécessite de ne point pouvoir agir. Et ce n’est pas ne pas pouvoir agir que de devoir contester au préalable une filiation déjà établie…La prise en compte de pareilles circonstances eût permis, sinon ,d’étendre outrageusement les délais d’action en recherche de paternité. L’on comprend donc que le pourvoi ait aisément été rejeté.

Si la solution n’étonne pas, elle interroge : quelle est à son avenir ? Dès lors que le régime de l’action en reconnaissance de paternité a évolué, l’existence d’une filiation établie et non contestée aura-t-elle pour effet de suspendre la prescription de l’action ? Après tout, l’article 320 actuel du Code civil dispose encore que « tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait », cependant que le délai de prescription de l’action en recherche de paternité n’est plus préfix et ne ressortit qu'à la prescription. Voire ! Cependant que la jurisprudence visait autrefois l’impossibilité « absolue » d’agir (Cass. 1re civ., 22 déc. 1959, no 59-10.037, Bull. civ. I, no 558, JCP G 1960, II, no 11494, note E. P., RTD civ. 1960, p. 323, obs. J. Carbonnier) , l’article 2234, qui consacre dans le Code civil l’adage contra non valentem..., évoque seulement « l’impossibilité d'agir ». Les juges ne se contenteront-ils pas à l’avenir d’une impossibilité relative ?

La publication de cette décision invite à penser que non, qui n’aurait sinon qu’un intérêt rétrospectif. Ajoutons que le passage d’un délai préfix et biennal à une prescription décennale ne devrait pas incliner le juge à une appréciation accorte du délai. Surtout, que le délai d’action soit désormais ravalé au rang de prescription n’empêche pas que l’existence d’une filiation déjà établie ne puisse être assimilé à une impossibilité d’agir en recherche de paternité, dès lors qu’il suffit de contester la paternité initiale. Encore faut-il qu'il s'agisse d'une véritable impossibilité d'agir…

Il est bien des choses qui ne paraissent impossibles que tant qu'on ne les a pas tentées, écrivait Gide. Sans doute la jurisprudence a-t-elle admis que lorsqu'une action en justice retarde celle que devait intenter le créancier, il bénéficie de la suspension pour son action tant que la première n'est pas jugée… mais il s’agissait d’actions diligentées par des tiers, et non susceptible d’être potestativement mise en œuvre par le titulaire du droit lui-même (v. par ex. Cass. 1ère civ. 31 mai 1976).

Somme toute, l’impossibilité d’agir suppose que l’action échappe à la volonté du titulaire du droit : elle ne saurait exister dès lors qu’il n’appartient qu’à lui de la dissiper....

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