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Les excès de la proportionnalité

Ainsi l’excès n’est-il pas la mesure de la disproportion. Au-delà du paradoxe, l’on se prend à regretter que cet arrêt rendu le 22 juin 2010 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, et publié sur son site, n’ait pas été plus nuancé.


Les faits étaient ordinaires. Le gérant d’une société avait cautionné le prêt consenti à celle-ci auprès d’une banque. La société fut mise en liquidation judiciaire, et la banque assigna la caution en exécution de son engagement : cette dernière opposa le jeu de l’article L.341-4 du Code de la consommation et fit valoir que le cautionnement était manifestement disproportionné. Les juges du fond estimèrent que la banque avait commis une faute à l’endroit de la caution et condamnèrent celle-ci à des dommages et intérêts équivalents à la dette de ladite caution.

La banque se pourvut en cassation, faisant valoir qu’elle n’était tenue d’aucun devoir de mise en garde à l’endroit d’une caution-dirigeante de société et que le préjudice, qui ne consistait que dans une perte de chance, ne pouvait donc équivaloir à la dette de la caution. La banque invoqua en outre le fait que « le préjudice consécutif à la disproportion entre les ressources de la caution et le taux de l'engagement qu'elle a souscrit trouve sa limite dans la mesure de cette disproportion ». Dès lors, selon cette argumentation, « en allouant à la caution une réparation égale à la somme dont il était débiteur envers la caisse, sans s'expliquer sur l'importance de la disproportion entre les ressources du premier et le taux de l'engagement qu'il a souscrit envers la seconde, la cour d'appel aurait violé l'article 1147 du code civil, ensemble l'article L. 341 4 du code de la consommation ». Les juges du fond – semble-t-il, puisque je n’ai pu pour l’heure consulter l’arrêt – n’avaient pas su tout à fait trancher entre l’application à l’espèce de l’article 1147 du Code civil ou L.341-4 du Code de la consommation. La Cour régulatrice ne leur en tient pas rigueur.

Laissant de côté les motifs surabondants relatifs au devoir de mise en garde, la Chambre commerciale replace le débat sur le seul terrain de la mesure de la sanction prévue par l'article L.341-4: « la sanction du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement ; (…) il en résulte que cette sanction, qui n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice, ne s’apprécie pas à la mesure de la disproportion ». Ainsi la Cour d’appel a-t-elle "à bon droit" rejeté la demande de la banque. Cette décision se range ainsi à la meilleure doctrine. Selon le Doyen Philippe Simler, qui s’appuie sur une lecture littérale du texte, « l'issue du litige est le "tout ou rien", le cautionnement étant totalement privé d'efficacité s'il est jugé disproportionné, alors que la solution jurisprudentielle permettait, par le biais de l'octroi de dommages et intérêts, d'adapter la sanction à l'importance de la disproportion » (v. J.Cl. Civil Code – Art. 2288 à 2320 - Fasc. 40, n°62).

Il est pourtant permis de ne pas être convaincu par l’analyse retenue par la Cour régulatrice.

A titre liminaire, l’on regrettera que le juge de cassation n’ait pas qualifié la sanction mise en œuvre : si l’on sait désormais qu’elle est totale, l’on peut encore se demander si « l’impossibilité pour le créancier de ce prévaloir de cet engagement » est définitive ou temporaire ? Certains auteurs considèrent en effet que le bénéfice de disproportion n’a pas d’effet extinctif : la disproportion n’entraînerait que la paralysie du cautionnement à l’égard du créancier (Chr. Atias, « Propos sur l’article L.341-4 du Code de la consommation » D. 2003, p. 2584). Une telle interprétation aurait quelques effets pervers en cas de pluralité de cautionnements solidaires : il suffirait au créancier de poursuivre les cofidéjusseurs, ou à ces derniers de poursuivre la caution, pour contourner le dispositif, l’inefficacité du cautionnement n’étant envisagée qu’à l’égard du créancier… Mieux vaut donc penser que l'article L.341-4 donne lieu à une décharge de la caution.

La punition du créancier paraît dès lors bien sévère : le voilà définitivement et totalement privé de sa garantie ! Selon la Cour de cassation, en effet, l’article L.341-4 du Code de la consommation édicterait une sanction et n'aurait donc « pas pour objet la réparation d’un préjudice ». Il y là une pétition de principe plutôt qu'une véritable explication, un sophisme plutôt qu'une interprétation.

Si la décharge demeure une notion incertaine, l’on peut toutefois la définir avec Sallé de la Marnierre, comme « ce procédé de sanction qui peut être employé en toutes circonstances dès lors qu’un certain but doit être atteint : l’extinction d’un droit à titre de peine » (E.-S. Sallé de la Marnierre « La déchéance comme mode d’extinction d’un droit (essai de terminologie juridique) », RTDCiv.1933, p.1037 et s. spéc. n°31.). En tant que peine, elle appelle une interprétation restrictive et doit, dès lors, être proportionnée au préjudice subi par la caution, non pas parce qu’elle en constituerait la réparation, mais pour de simples raisons d’équité(v. E. S. Sallé de la Marnierre, ibid.). La solution aurait eu l’avantage de la cohérence avec l’article 2314 du Code civil, qui prévoit une décharge du fidéjusseur que la jurisprudence a toujours cantonné – sans que le texte ne le prévoie – au préjudice subi par la caution (V. en faveur de cette interprétation, A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, sous la dir. de J. Ghestin, LGDJ 2010, n°1208). Sans abdiquer la protection la caution, la solution eût au moins été compatible avec la préservation d'un minimum d'efficacité du cautionnement.

 

ANNEXE

 

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 22 juin 2010, n°09-67.814

 

Demandeur(s) : Le crédit agricole mutuel Pyrénées-Gascogne
Défendeur(s) : M. D...X...

 

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Pau, 30 avril 2009), que par acte du 23 juin 2005, M. X... (la caution), gérant de la société Pyrénées équipements agencements (la société), s’est rendu caution du prêt consenti à celle ci par la caisse régionale de crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne (la caisse) ; que la société ayant été mise en liquidation judiciaire, la caisse a assigné en exécution de son engagement la caution, qui a invoqué le caractère manifestement disproportionné de son engagement ;

Attendu que la caisse reproche à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait commis une faute engageant sa responsabilité envers la caution et de l'avoir déboutée de sa demande en paiement formée à son encontre, alors, selon le moyen :

1°/ que l'établissement de crédit n'est pas tenu d'une obligation de mise en garde envers le dirigeant social qui entend se constituer caution de la société qu'il administre ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, ensemble l'article L. 341 4 du code de la consommation ;

2°/ que le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à l'obligation de mise en garde dont il est débiteur envers la personne qui envisage de se constituer caution à son profit, s'analyse, pour celle ci, comme la perte d'une chance de ne pas souscrire le cautionnement ; qu'en relevant, pour allouer à la caution une réparation égale à la somme dont il était débiteur envers la caisse, que cette caisse a manqué, envers lui, à son obligation de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, ensemble l'article L. 341 4 du code de la consommation ;

3°/ que le préjudice consécutif à la disproportion entre les ressources de la caution et le taux de l'engagement qu'elle a souscrit trouve sa limite dans la mesure de cette disproportion ; qu'en allouant à la caution une réparation égale à la somme dont il était débiteur envers la caisse, sans s'expliquer sur l'importance de la disproportion entre les ressources du premier et le taux de l'engagement qu'il a souscrit envers la seconde, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, ensemble l'article L. 341 4 du code de la consommation ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d’appel a exactement retenu que la caution étant une personne physique, l’article L. 341 4 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 1er août 2003, était applicable à son engagement ; qu’ainsi, abstraction faite des motifs surabondants critiqués à la première et à la deuxième branches, elle a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, que selon l’article L. 341 4 du code de la consommation, la sanction du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement ; qu’il en résulte que cette sanction, qui n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice, ne s’apprécie pas à la mesure de la disproportion ; qu’ayant retenu que l’engagement de la caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, la cour d’appel a, à bon droit, rejeté la demande de la caisse ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

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