Rien n’est éternel, pas même l’exception de nullité
Quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum (cf: montrefle.fr): ce qui est éphémère par voie d’action, est éternel par voie d’exception. Cet arrêt rendu le 17 juin 2010 atteste de ce que cet adage est périssable. La première Chambre civile de la Cour de cassation décide en effet que l’exception de nullité ne peut plus être invoquée, dès lors que le contrat a été exécuté et que l’action en nullité est elle-même prescrite. Elle semble ainsi rallier la deuxième Chambre civile, quoique le doute plane toujours quant au champ d’application de la solution posée...
Deux médecins avaient assigné une clinique exerçant sous forme de société anonyme, afin de faire constater qu’elle était à l’origine de la rupture de conventions d’exercice libéral conclues avec elle. La clinique souleva l’exception de la nullité de la convention d’exercice libérale, invoquant l’article L.225-42 alinéa 1er du Code de commerce. Selon cette disposition, comme on sait, « les conventions [passé entre la société et un administrateur] et conclues sans autorisation préalable du conseil d'administration peuvent être annulées si elles ont eu des conséquences dommageables pour la société ». Les deux médecins étaient en effet administrateurs de la société : or, non seulement aucune autorisation n’avait été donnée par le conseil d’administration, mais il n’avait été procédé à aucune régularisation par l’assemblée générale des actionnaires, ce que permettait pourtant le même article L.225-42. La Cour d’appel de Riom rejeta néanmoins cette argumentation, et déclara l’exception de nullité irrecevable, au motif que la convention avait été exécutée. Aussi la société se pourvut-elle en Cour de cassation invoquant la violation de l’article L.225-42 du Code de commerce.
La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que « la cour d’appel, qui a retenu que l’acte litigieux était entaché de nullité, que le délai de prescription de l’action était expiré et que le contrat avait été exécuté, en a déduit à bon droit que cette nullité ne pouvait pas non plus être invoquée par voie d’exception ». L’exception de nullité n’était donc pas perpétuelle en l’espèce.
A suivre la motivation, deux raisons sont décisives de l’éphémérité de l’exception de nullité : d’une part, la prescription de l’action en nullité était expirée, d’autre part le contrat avait été exécutée. La première chambre civile se rapproche ainsi de la deuxième, qui a également affirmé, à propos de contrats d'assurances, que l’exception de nullité ne pouvait être soulevée lorsque le contrat a reçu un commencement d'exécution (Cass. 2e civ., 19 octobre 2006 , n°05-17599, Bull. II, n° 276), à moins que le délai de prescription de l’action ne soit pas encore échu (Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, n° 07-20.717, Bull.II, n° 256). Une telle solution ne peut qu’être approuvée. La perpétuité de l’exception de nullité ne se justifie pas toujours, qui constitue parfois un moyen tentant de sortir de contrat pour la partie de mauvaise foi. Aussi n’est-il pas injuste que l'exception soit cantonnée. Après tout, si la convention a été exécutée, c’est peut-être qu’elle n’est pas si dommageable, en particulier si les parties ont laissé passer le temps le temps de l’action.
L’on serait tout à fait convaincu par la présente décision si elle ne laissait pas subsister un doute. En effet, par un autre arrêt du 20 mai 2009, la même première Chambre civile de la Cour de cassation a censuré une décision refusant d’admettre le jeu de l’exception de nullité, « sans rechercher si la nullité invoquée était une nullité relative alors que seule une telle qualification la rendait inopposable en cas d'exécution de l'obligation découlant de l'acte ». Cette décision se comprenait difficilement : on voit mal en en quoi la nature de la nullité peut exercer une quelconque influence sur le régime de l’exception (v. les obs. très complètes de Th. Génicon, RDC 2009, p.1348). La nullité absolue aurait-elle une force plus grande au prétexte qu’elle est garante d’un ordre public ? Avec d’autres (not L. Leveneur in Contrats, conc. consom. 2009, 213 obs), l’on pouvait « être davantage convaincu par la position de la deuxième Chambre civile de la cour de cassation, suivant laquelle l’exception de nullité peut être invoquée, quand bien même le contrat aurait reçu un commencement d’exécution, dès lors que la prescription n’est pas accomplie » (v ma chr. Gazette du Palais, 07 janvier 2010 n° 7, P. 19). La première Chambre civile s’est-elle laissée convaincre par cette doctrine ? Il est difficile de le dire. La nullité de l’article L.225-42 du Code de commerce est en effet relative, qui ne peut être invoquée que par les personnes qu’elle protège (Cass. com., 23 mai 1967, no 65-10.644, D. 1968, p. 173, note Dalsace). Plus encore ! Cette nullité est facultative : les conventions considérées « peuvent être annulées », si elles ont eu des conséquences dommageables pour la société…
C’est dire qu’il n'est pas aisé de savoir si la première Chambre civile entend maintenir ce petit Yalta des nullités et persister ainsi à distinguer selon que la nullité est absolue ou relative pour admettre ou pas l’éternité de l’exception de nullité. Sans doute la formulation du présent arrêt est-elle générale, qui semble bien ne retenir que deux conditions et ne pas faire cas de la nature de la nullité. Il demeure cependant difficile de se convaincre tout à fait d’un revirement, ces deux arrêts de la même chambre n’étant pas même séparés par une année...